Angèle Etoundi Essamba

764_foto_28-2-20111543362408angeleetoundiessambaPar la porte entrebâillée par l’objectif,  l’éclat aussi mince qu’une lamelle qui perce entre deux pans de voile j’ai vu flotter pour figurer le vent et couper du soleil entre le porche et sur ton corps quand le sable est aussi blanc que l’écume j’ai été étonné que tu ailles comme un voilier à la mer

La nudité était dehors dans l’étendue indifférente du monde à portée de main, sur le mur qui s’écaille et la peau cratère la protection infime des brins tissés dans la rue et la morsure – le sel le long de l’eau chauffée par  la brulure

Angèle Etoundi Essamba 5

Le regard à l’intérieur

Ouvre le livre, c’est un regard neuf sur la beauté, intime et qui ne livre rien, une juste distance dans la vague des êtres et dans le regard le lointain, non le lointain qui éloigne mais le lointain intérieur qui par l’iris semble infiltrer en nous toute la lumière obtuse du monde

761_foto_28-2-20111504493247eye dentityUn œil sans un visage

Seuls les murs qui se lézardent la terre recouverte d’un peu d’herbe, la croute qui se forme sur la peau, il n’y a que le vent qui souffle et entre tout cela conscient du mystère uniquement l’ouverture ni blessure ni entaille mais la légère distance du souffle pendant l’éclat

L’éclat en mille couleurs

Il y a autant d’être qu’il y a de couleurs, je tente de m’approcher de la plage où je ne peux parler à ta place se confondre avec le sable s’enrouler de nuit ou se croire l’obturation maximale du jour où l’œil dévoilé rit comme de tous temps

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Mille voix et la mienne

Il est bien que ce soit diffèrent, accepter vivre dans le même lieu des mille voix comment parler d’une voix qui n’est pas la sienne, comment rendre le corps sur cette plage plusieurs temps et lieu si j’y suis comment et que tu es toi Qui dit comment s’approcher de la rudesse de l’eau, qui dit comment marcher sur le sable et tutoyer l’autre qui dit comment s’emparer et s’étoffer du réel  Sous ces voiles j’entends ton œil découvrir des milliers de regards

 

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Gozo Yoshimasu la poésie à l’épreuve du monde

Gozo Yoshimasu, un poète par qui le Japon est devenu indispensable, à l’égal de, mais de façon tout à fait divergeante de celui du Japon ancien, même hybride de celui de l’ère Taisho. Pourtant il plonge dans le vieux mythe et la civilisation ancienne, son dernier opus, les draps d’Ishi nous le rend sensible, merveilleux voyage vers une curs de Sei Shonagon mais voyage atypique t qui ne ménage pas les surprises

Pia Tafdrup

 

 

Les lettres scandinaves sont magnifiques, la poésie ne fait pas exception et est au coeur même de la puissance littéraire des pays du nord. Ils ont su garder l’oeil émerveillé et le coeur acéré de celui qui regarde le monde sans complaisance.   Régis Boyer, le grand spécialiste de la culture scandinave, évoque la connivence des peuples du nord avec la Nature et la relation étroite qu’elle entretien avec le mythe et la sagesse. Immergés  dans la nature, le monde apparait au poète dans une lumière  « transfiguratrice et abolissant toutes les distances qui règne dans le nord » la nature y est gigantesque et presque iréelle faisant du poète un visionnaire empli d’une énergie puissante, quasiment « vitaliste ».  Pia Tafdrup est l’une de ces poètes à la poésie résolumment moderne et dont l’écriture se situe à la croisée de la nature et du mythe, assumant le regard contemporain de celle qui ose regarder le monde dans toute la contradiction de notre modernité.


Née en 1952 à Copenhague, Pia Tafdrup se fait remarquer en 1981 lorsqu’elle publie Når det går hul på en engel, qui marque une rupture avec la génération « crack prose » des années 70. Pia Tafdrup devient une figure importante de la « génération sauvage » en contribuant à des revues comme Konstellationer ou Transformationer. En 1991, elle théorise sa poésie dans un essai remarqué : Over vandet gar jeg. Son travail s’inspire notamment de Celan, Ekelöf, Tsvetaïeva ou Mandelstam. Pia Tafdrup est entre autres membre de l’Académie danoise et de l’Académie européenne de poésie. Elle a reçu plusieurs distinctions honorifiques, dont le prix de Littérature du Conseil nordique en 1999 et le prix nordique de l’Académie suédoise en 2006. Elle est l’auteur de nombreux recueils de poésie, de romans, de pièces de théâtre, et ses livres sont traduits dans plus de vingt-cinq langues.


Pour aller plus loin :

 

Pia Tafdrup, La forêt de cristal ed circé et les chevaux de tarkovski, ed Unes
le site de Pia Tafdrup

des critiques

sur le site de sitaudis

sur le site des éditions Unes 

les lettres scandinaves

Régis Boyer, Pourquoi faut-il lire les lettres du Nord? ed Les belles lettres

 

 

 

 

Galaxies, de Haroldo de Campos

Et si c’était ça la poésie, recevoir la vibration du monde ?

 Que le corps s’en fasse la chambre d’écho et que les mots se mettent à vibrer, à s’embrasser, à danser, à résonner ? Et si c’était un abandon ? Un contact avec autre que soi, qui rentre en soi et devient plus soi que soi.

Être disponible à ce que l’on attend pas, si c’était cela aussi la poésie ?

Le Brésil des années 60 était de tous les défis et la poésie n’était pas en reste. Chantre de la poésie concrète et du modernisme brésilien, Haroldo de Campos prends la poésie de tous les temps et de toutes les langues à bras le corps de l’avenir et du futur et lance une phrase infini comme l’espace en 50 poèmes dans un chant cosmique, une matière sonore galactique qu’il faudrait entendre en portugais car la musicalité sensuelle et visuelle est ici le sujet même de cette écriture étonnante, baroque mais aussi qui s’autogénère à la façon de la biosynthèse et est un être vivant à part entière.

Il s’agit bien d’un poème monde, d’un souffle lyrique charnel et épique, d’une inventivité constante de mille yeux comme des pages lancés dans l’espace, non pour le percer mais voyager, faire corps et entrevoir un chant foisonnant mais palpable et palpitant. Il ne faut pas avoir peur de cette phrase qui au fil de ces quelques 131 pages ne respire jamais ni ne s’arrête et n’est pas ponctué. Telle est la matière du poème qui refuse tout recul et prends le parti du corps du poème. Se mêler au flux des mots, sons, images, pensées et attentif y participer, tel est la gageure.

Pour le monde et l’imaginaire, son ouverture, la liberté du centre à ne plus être marge ,   au delà du jeu de la couleur et de la langue , l’inscription dans une conscience de la terre et une humanité dont une évidence que ce monde imposé, fer, câbles, grille est sang, est une violence qui nous fait basculer dans la rigidité et la fixité et que celui que je suis au seuil d’un en-vie enthousiaste de défiance, récuse,
Dire la souffrance qui n’est pas apparente, appartenir par conviction à l’autre coté parce qu’il n’est pas possible de se lier à celui dont je ne vois que les crocs et jeter des filins comme des fils de pêche de lumière et petit à petit tisser ce maillage qui mieux qu’un rhizome provenant d’une origine se jette dans la baie du possible et  la voie à suivre comme un courant audible gronde en dessous des terres des mers lèche les pieds des mères et se réclame de toutes sans approfondissement de l’aval qui de toutes façon à sombré sans couleur ni lieu sans de ci delà un deux parsemés aux accents évanouis mais qui reprennent vie comme des taches sur une robe de cheval aux couleurs du diamant en gorge d’argile et sailli par le ciel à flot de l’eau
 
Que ce soit ici ou la-bas, l’en-vie prend naissance dans la bouche s’assume dans la bouche du golfe, avide et se nomme aujourd’hui
L’autre voit les blessures qui attachent à la peau aux sens et les collines des ancêtre et les nomme pour ce qu’ils sont menaces arrachement et destruction, l’anéantissement et lui ne peut plus peindre en rêve, de là où tu vas et où tu ne vas pas, sans devenir sans source visible l’eau semble opaque est elle tarie ? sans ellipse, directement dans une gueule du cosmos au dessus du temps qui s’en rit
La pensée à peindre, écrire et traduire, trouver les ponts et quoique les messages du monde des lettres des jours qui enferme nos devenir dans un agenda fermé ces mots, ces murs, ces séparations cette fatigue qui me parviennent, en fait une justification, contre le gré peu ou prou de beaucoup, le gré de peu qui est opaque , incompréhensible et du domaine du suicide, qui constamment nous relance sur un coté de boue, dans cette voirie de rails âpres, comme un parcours du monde occidental obligé mais desséché braillant la nécessité de l’aléatoire et du superflue
Mais au delà des attaches abstraites de métaux lourds et de terres rares il a un cri ou la parole dénudé comme un fil électrique à vif , qui mort ou caresse ou vit , en accord avec ce rythme de vivre, pousser, fleurir, gémir alors le sève circule de nouveau, le bébé pousse et les explosions de la destruction deviennent intolérable et il faut les jeter dehors d’une existence qui ne se comprend bien que sans
et que mes bouts de chairs sont parvenus là à l’orée du même lieu que toi, das une trajectoire de bâtons rompus , d’élancement d’objets cassés qui s’attirent et se répulsent , s’annulent comme une passerelle vive sans voir de quoi il peut bien être question dans cette forêt d’annotations mathématique qui n’ont de sens que dans la couverture énergétique et saillante du monde et je marche dessus et m’enfonce dans la forêt, à rebrousse chiffres et prend le chemin de la grève et me jette à l’eau , conscient et perdant pieds dans l’inconscience, l’étincelle qui a lieu comme seule boussole . 
 

Edmond Charlot , éditeur à Alger

Le récit d’un homme méconnu, qui fut le premier éditeur de Camus et de tant d’autres, nous raconte en filigrane l’Algérie coloniale jusqu’à aujourd’hui

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Titre en apparence anodin, « nos richesses », le roman de Kaouther Adimi nous parle du Livre, de la Littérature et de l’engagement des hommes du siècle dernier à faire vivre la flamme de l’exigence de la pensée et de l’écrit, de l’engagement de l’homme dans le siècle et de l’importance de l’humain et de l’amitié, c’est à dire de la relation que nous pouvons nouer alors que nous sommes engagés sur la voie de la littérature, voila notre véritable richesse. Roman bien documenté et fidèle à la vie de cet éditeur qui fut entièrement animé par la passion de la littérature, le récit s’entrecroise avec une autre histoire, celle de nos jours, d’un jeune homme étrangement troublé par la découverte du passé, pour lui indéchiffrable dans une ville qu’il ne connait pas : ce sont deux époques qui se rencontrent et ne se comprennent pas.

Charlot-jeuneEdmond Charlot fut le premier éditeur de Camus alors que celui -ci, jeune homme, résidait à Alger et était déjà cet écrivain engagé dans la pensée et la politique,  la rencontre , l’amitié, la connivence, le compagnonnage sur la voie de la littérature les engagent sur ce qui ressemble à un apostolat car c’est du sens à donner à l’existence dont il s’agit. Pour l’éditeur, que la passion de la littérature  anime, poussé par son professeur l’homme de lettres Jean Grenier, la décision d’ouvrir, dans l’Alger de 1930, une librairie qui soit aussi  maison d’édition, galerie, lieu de rencontre intellectuelle, est avant tout une antre de l’amitié. Par amitié, au delà du sens fondamentalement humain, il faut sans doute entendre « compagnonnage » car si à cœur vaillant rien d’impossible, rien ne se fait seul ni sans  rencontres, noyaux qui se constitue entre ces hommes qu’anime l’esprit de l’époque et  l’envie d’entreprendre.  Voila les étincelles de la passion et l’utopie suprême de la littérature qu’Edmond Charlot et ses amis tout au long du siècle vont patiemment poursuivre.

La flamme intellectuelle, l’esprit de littérature, la quête de vérité , la passion de l’action, les grandes époque sont un grand incendie où tout prend feu, l’esprit, l’étincelle où se reconnaissent les générations, la jeunesse poussée par les ainés, ce furent Giono, Gide, Grenier qui ont favorisé l’éclosion mais laissé libre le mouvement. Alger, avec Marseille fut la capitale  de l’esprit du Sud, signe peut être de la vitalité de l’esprit méditerranéen. Alger et les colonies françaises nord africaines regorgent d’homme de lettres qui y vivent, voyagent (on pense à l’attrait de Paul Klee pour le Maghreb, en particulier la Tunisie),  sont attirés ou de passage, y font leur service militaire où se retrouvent dans un lieu dépoussiéré (par rapport à Paris) et où la fougue du soleil et de la civilisation solaire impulse un esprit bien différent de celui du Nord. Est-ce simplement un signe des temps, un épisode dans la vie de la civilisation, on est frappé tout au moins par ce hasard. Outre Camus, l’éditeur rencontrera et publiera Max Paul fouchet, Frédéric Jacques Temple, Jules Roy, Jean Grenier, Emmanuel Robles, André Gide, Gabriel  Audisio et Jean Amrouche qui prendra une part active, notamment à la revue « l’arche ». Pas mal pour un catalogue, qui s’augmentera, après guerre. des écrivains spécifiquement algérien, comme Jean Sénac , Mouloud Feraoun, Mohamed Dib, kateb Yacine, prenant acte de l’esprit de révolte et de libération soufflant sur l’Afrique.

Revue_Rivages,_1938_et_1939Comment une petite maison d’édition sans moyens a t’elle pu attirer à elle tant de grands noms ? Est-ce la force de l’amitié, d’une génération en route pour la construction d’un monde nouveau, l’esprit de résistance déjà présent lorsque l’éditeur publie le texte interdit « révolte dans les Asturies », cosigné par Albert Camus, est-ce la marque de la littérature, de la passion et de l’engagement d’une époque qui défiait l’histoire et qu’il fallait inventer ? Le conventionnel, le laisser aller n’est pas de mise, la tyrannie et la guerre pointent et la mort de Garcia Lorca, l’engagement dans la guerre d »Espagne des ainées qui montrent la voie, on pense à Malraux, orwell, Hemingway et à tous ces jeunes hommes qui ne pouvaient faire moins  que prendre parti car la littérature de cette époque est habitée, la vie d’un homme passe par son engagement et la littérature en est un. C’est la force de récit de nous montrer à quel point l’esprit de la littérature fut important pour ces hommes et à contrario combien notre époque lui semble indifférente. Que des hommes puissent sacrifier le confort d’une existence pour une utopie et des idées nous semble incroyable et le personnage de Ryad, jeune homme du vingt-et-unième siècle chargé de déblayer ce qui reste de la librairie dans des sacs poubelle semble poser la question, heureusement, Abdallah, ce personnage intemporel veille comme un ange et est la figure des pères.

Ce coté de la Méditerranée est voué au rayonnement de la pensée solaire, lumineuse, forte, humaine, telle que Thierry Fabre citant Albert Camus, nomme « la pensée de midi » et qui fut comme une lumière que le sud de Nietzsche projetait sur l’Europe. Ce n’est pas anodin que l’éditeur nomme la librairie  « les vraies richesses »  d’après un titre d’un des livres de Jean Giono,  qui fut lui aussi un des grand homme de ce Sud, dont les alter ego  seraient Nikos Kazantzakis, Giuseppe Tomasi di Lampedusa ou ceux à venir dans l’après colonisation, Kateb Yacine ou Frantz Fanon. Tout au long du livre, les grandes revues méditerranéenne comme les « cahiers du Sud » de Jean Ballard à Marseille, mais aussi « rivages », les cahiers de barbarie, « l’arche » etc. rappellent ce que fut Alger tout au long du siècle et nous découvrons  cette rive de la méditerranée,  d’abord colonie, attirant hommes de bonne volonté et voyageurs, puis pendant la guerre siège de la France Libre rayonnant de tous ces résistants et soldats venus libérer l’Europe, autochtones sous l’uniforme et jeunes venus de Londres, puis haut lieu de la révolte contre le maître colonial quand souffle l’esprit de liberté  contre l’oppresseur, laboratoire de l’esprit anticolonial avant que ne s’abatte la guerre et la souffrance. Ce livre en est aussi le récit et c’est sa valeur que de nous le rappeler.

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L’auteur : Elle est algérienne, n’a que 31 ans, vit depuis 2009 en France, où paraît déjà son troisième livre, intelligent, tout en délicatesse et merveilleusement audacieux : repérée dès 2006 par le prix du Jeune Écrivain francophone, elle reçoit le prix littéraire de la Vocation 2011 pour L’Envers des autres. Après Des pierres dans ma poche (2015), Kaouther Adimi reprend la plume au nom d’une personnalité magnifique du patrimoine littéraire que partagent l’Algérie et la France : le libraire-éditeur Edmond Charlot (1915-2004). Source : (le Point)

Pour suivre :

sur Edmond Charlot :wikipedia  et film documentaire.fr

à propos de l’auteur : Kaouther Adimi sur jeune Afrique

quelques critiques sur le site des éditions du Seuil   sur Huffingtonpostmaghreb  Babelio  ; la presse.ca

sur La cause littéraire et sur le blog « l’or des livres »

Paterson et Jim Jarmush

Avec Paterson, Jim Jarmush rend hommage à la poésie et à la capacité qu’a chaque être humain de sublimer sa vie, aussi simple soit elle.

A Paterson, New Jersey, dans les premières années de ce siècle, la  vie simple de Paterson, conducteur de bus et poète a le rythme lent des habitudes immuables. Le long des rues, le conducteur de bus emmène ceux qui le prennent et prête une oreille à leurs histoires, extraordinaires et banales. Il profite d’un moment entre deux tournées pour écrire le  poème qui lui vient, attentif à la vie qui passe, aux détails infimes de l’existence comme cette boite d’allumette qui pour lui, est comme un poème d’amour pour sa femme. Il semble dire : la vérité est dans les petites choses, les moments gagnés sur le vide quand les mots se greffent sur l’écran, superposés au paysage, à la vie lente et à la subtilité tendre des variations. Le soir , il rentre chez lui et retrouve sa femme, véritable artiste à sa façon, redécorant sans cesse la maison, tel est le quotidien de Paterson, poète conducteur de bus à Paterson, New Jersey, États-Unis.

Le film, rend un hommage appuyé à la poésie américaine qui au vingtième siècle, a été comme un laboratoire du sens de la culture qui était en train de naître. La référence à  William Carlos Williams,  poète culte de l’avant garde américaine et médecin à Paterson, New Jersey, sa ville natale, qui toute sa vie exercera la médecine tout en étant l’un des poètes des plus important du siècle, et l’auteur d’un recueil de poèmes, qu’il titre « Paterson », véritable fresque moderniste dédiée à la ville à base de collages issus de la réalité crue qu’il observe lors de ses consultations, articles de journaux, poèmes en vers, dialogues, observations, tel est le poème moderne pour Williams Carlos Williams et que poursuivent toujours les poètes du vingt-et-unième siècle. Le Paterson, filmé par Jim Jarmush est l’un de ceux là dont les poèmes sont en fait ceux écrits pour le film par le poète Ron Padget, poète d’aujourd’hui qui écrit de courts poèmes de la vie quotidienne. Poète préféré du cinéaste, Ron Padget parvient à distiller cette magie des quelques mots à la fois dits et écrits sur la pellicule, en surimpression des images et qui est comme une autre peau de la réalité vécu, mais n’est-ce pas le cas de la poésie et du poète, pour lequel la poésie est comme un regard déformé posé en surimpression, en pensée, sur les pages du carnet secret et flottant sur le film.

 Le film regorge de poètes, chacun à sa manière est un poète, soit qu’il pratique la poésie, comme cette jeune fille rencontrée ou ce rappeur cherchant ses rimes dans une lavomatique de nuit ou tel autre japonais rencontré de manière improbable et qui est comme un ange qui, quelque part, sauvera Paterson. La ville, la poésie est rencontre, rencontre de poètes, ouverture de l’esprit sur ceux qu’elle croise ou qu’elle cotoie, et c’est tout le film qui se déroule comme un immense poème et par l’entrebâillement, le cinéma de Jim jarmush qui est tout cela à la fois et le personnage Paterson prend la suite de ces losers magnifique, pleins de l’intérieur que sont le Johnny Depp de Dead man , le Tom Waits ou John Lurie de down by law et le Forest Whitaker de Ghost dog ou broken flower et Valentine pour ne citer qu’eux, les second roles étant eux aussi des créateurs en puissance, anges déchus sous l’aile de Jim Jarmush.
Là, le personnage joué par Golshifteh Farahani, actrice iranienne qui illumine le film comme en contrepoint à la présence silencieuse de Paterson. Car la femme de Paterson s’empare de tous les objets du quotidien de sa maison et en fait de véritables poèmes visuels, réalisant par l’image et le rythme, l’équivalent de ce que le poète fait avait les mots mais avec tant de joie qu’elle en est lumière et résistance à la banalité du réel qui devient un véritable tableau, ce sont rideaux de douches, cupcakes, encadrement de portes, tapis, boite de cuisine, robes et garde robe et coussins du sofa, on en perd le fil , la réalité entière est redessinée et surtout décorée par cette artiste anonyme qui pourtant de façon obsessionnelle exprime la beauté que l’âme par le regard pose sur le monde. Tel fait aussi le poème, sans couleur, avec des mots fragiles et périssables, illuminant le quotidien que la vie nous propose, voila ce que semble nous dire ce grand artiste du cinéma qu’est Jim Jarmush.

Actuellementà la médiathèque :

Afin de faire le lien avec l’exposition « Dans la barque de l’or du temps » retraçant les 30 ans d’activité de l’éditeur et poète Luc Vidal, la médiathèque vous propose d’emprunter le dvd « Paterson » de Jim Jarmush ainsi que les livres de William Carlos Williams, Paterson, et « le printemps et le reste » et vous invite à découvrir son rayon poésie situé sur le balcon

Pour aller plus loin :

Sur Ron Padget:

Meet Ron Padget sur le site Bleeker street , un entretien entre Jim Jarmush et Ron Padgett

sur le site des éditions Joca Seria

Sur le film Paterson :

Les critique sur Télérama ,
culturapoing.com ,
le monde

 

 

Ce qui frappe dans la lecture du poème c’est la lumière qui illumine le poème comme le jour vient éclairer la nuit et l’obscurité. Amina Saïd est une poète de la lumière, la luminosité méditerranéenne se pose sur le monde comme une quête spirituelle. Elle est une poète de la lumière en ce sens que le poème invite à poser une lumière sur l’obscurité, à s’allier au rêve de la nuit et puis c’est le monde qui se pose.

AminaSaid

Amina Saïd est née d’un père tunisien et d’une mère française à Tunis, où elle a grandi. Elle a commencé à écrire des poèmes dès l’enfance. Après ses études à la Sorbonne, elle enseigne à la faculté des lettres de Tunis, avant de s’installer à Paris tout en faisant de fréquents séjours dans le pays de sa naissance. Elle s’oriente ensuite vers le journalisme.

Né à Tunis d’un père tunisien et d’une mère française, elle est dès son plus jeune âge habitée par l’écriture et la poésie et ne cesse de démêler les fils que la vie et le temps a placé devant elle. Amina Saïd habite les deux rives, les deux langues et est entrainée dès son enfance à un voyage qui l’attire sur les chemins du monde. Car son père est toujours en partance et la couvre de présents qui sont les témoins de toutes les contrées traversées. Afrique, Europe, Asie, le monde s’ouvre dans la diversité et l’identité n’en finit plus de décliner les possibles, les horizons et les possibilités envisageant une parenté avec ce qu’Edouard Glissant appelait un Tout-Monde. Là où l’être se démultiplie, se ramifie en une myriade poétique qui fait de l’imaginaire une invitation perpétuelle à explorer ce qui des étoiles aux marches de la terre peuvent rythmer l’existence.

Amina Saïd voit sa poésie comme une autobiographie spirituelle, c’est assez dire que l’extérieur et ‘intérieur ont partie liée. Si la poésie est toujours liée à l’intériorité, à l’émotion et la spiritualité, elle ne se défait jamais de la réalité extérieure, les paysages, le sens qu’ils peuvent prendre pour l’auteur, l’histoire, le voyage et la méditation. Ainsi nous retrouvons les astres, le soleil et les étoiles, mais aussi le désert, l’île et les rives, la vague et la mer, autant de points récurrents de cette présence au monde qu’elle maintient vive, ouverte et en mouvement. Le monde est mouvement et elle dans le monde, impliquée en accord avec la poésie profonde qui le rythme, observe les pays et les cultures, l’Afrique, par exemple où elle fait escale mais aussi les Philippines, Djibouti, Gorée la noire ou Heidelberg qu’elle salue : « chaque terre est notre terre et une autre terre »,

Récemment, depuis 2010 et avec la récente publication au éditions du « Petit véhicule » du recueil « chronique des matins hantés » directement inspirés par les événement tragiques de Tunisie en 2011 et qui évoquent un temps où l’aube prend la main du crépuscule en une lumière d’un temps sans temps, moment où les différences sont abolies et sont l’occasion d’une réflexion profonde sur l’être arabe dans cette période troublée où plus rien n’est vraiment ce qui parait. Amina Saïd se laisse traverser par les bouleversements qui ont lieu dans sa terre natale, le printemps du Jasmin en Tunisie la bouleverse, mais aussi l’Irak, la Syrie, où le chaos les guerres meurtrières, le non-sens règnent. Ce sont aussi tous les changements qui font qu’elle peine à reconnaitre le pays de son enfance qui devient nostalgie, mémoire et qui dans sa poésie appelle un travail de fond essentiel aux sources de la culture arabe. L’histoire et le mythe devient matière première et aide à recomposer le présent chaotique qui seul ne peut rendre compte de la réalité du Levant et du Maghreb. Après avoir écrit des contes, Amina Saïd convie les personnages de l’histoire et le récit qui sur des lieux de l’histoire, embarquent sur le navire de l’imaginaire, ce fabuleux moteur de la marche en avant du monde. Tombeaux pour sept frères, Alexandre et Ibn Battuta , le grand voyageur arabe des premiers temps, nous entrainent dans une épopée qui invite à dépasser les apparences de l’identité. 

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Les temps sont troubles, Amina Saïd, poète de la lumière et de l’intériorité se laisse traverser par les heurts qui ont lieu dans sa terre natale, la révolution du Jasmin en Tunisie la bouleverse, mais aussi le chaos des guerres meurtrières en Irak, en Syrie, et dans tout le Moyen-Orient. Car récemment le monde a pris un tour dramatique et la guerre, la crise sociale, le désarroi ont pour elle une résonance douloureuse. C’est-ce qui la pousse à rédiger des chroniques qui serviront de base aux poèmes, dont le caractère urgent et émotionnel se ressent à la lecture.

Dans ce livre lumineux où la poésie est reine et où l’aube prend la main du crépuscule a lieu une véritable réflexion sur le monde arabe. Amina Saïd poursuit son autobiographie spirituelle entre identité et appartenance, profond attachement culturel et sensibilité font du recours à l’amour une douleur pour une terre et une âme. Tout autant nostalgie que mémoire, celle qui écrit, se souvient du pays de son enfance, souffre des changements survenus dans les lieux qu’elle a connu et qu’elle peine à reconnaitre. Elle rejoint ces poètes qui se penchent sur l’essence, au cœur de la crise, de ce qui demeure de la quête du beau et qui fait la quintessence de la culture millénaire aujourd’hui sous les feux des canons et de la destruction.

En prise constante avec le monde, ces recueils précédents l’avaient emmené sur le versant du récit mythique et historique mais n’était-ce pas aussi une façon de répondre à la douleur de l’actualité en évoquant l’orient de toujours, meilleure façon peut être de rendre compte de l’incompréhensible du présent ?
Que le poème s’empare de la subtilité de la culture permet d’éclairer d’une lumière discordante ce qui ne peut avoir de nom et de le rattacher à l’écriture et à l’imaginaire qui sauve.

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Deux parenthèses ne font pas un cercle
et n’ont rien de définitif
puisqu’elles s’ouvrent et se ferment
comme une porte à laquelle frapper
ou encore les paupières et la bouche
d’un homme ou d’une femme qui parle
elles sont simplement les cils de nos yeux
quand ils regardent le monde ou deux ailes
pour s’envoler au-delà de la page

de même les aiguilles des horloges
ne sont pas des flèches
et ne savent pas rejoindre la cible
ni ne sont le bec d’un oiseau
mais elles consentent à la séparation
du temps et du fleuve

car le temps tout entier présent
en chaque instant ne se laisse pas
enfermer dans une boite
il coule comme la lumière ou le sang
sur les feux de la terre

Amina Saïd , chronique des matins hantés (ed du petit véhicule)


L’œuvre poétique d’Amina Saïd est essentiellement une quête ontologique, un voyage au long cours dont chaque recueil est une étape. Tout poème y est mouvement, élan spirituel, flux générateur. Sont mises en question l’aventure humaine – existentielle, symbolique, historique – et l’identité, toujours à construire, comme l’œuvre elle-même, incandescente et limpide. Une dialectique constante des complémentarités et des séparations hante cette poésie, dont l’une des composantes est l’attachement aux deux rives de la Méditerranée. Une appartenance qui ressemble fort à l’exil et légitime la quête du lieu, l’errance, comme elle génère la prolifération des doubles et des oppositions.
Les poèmes aux images fulgurantes et remarquablement rythmés mettent en valeur la sobriété, la concision, l’étonnante densité sensuelle d’une écriture dont les spirales entraînent le lecteur au cœur des antiques prophéties. Car le poète, familier des grands mythes, en irrigue son imaginaire, sans jamais occulter les enjeux contemporains, ni paraphraser la vie réelle, et tout en assumant le féminin singulier de sa condition objective. Une parole intense, dictée par l’absolue nécessité, une œuvre mouvante et émouvante qui atteint à l’universel. Ghislain Ripault

 

Bibliographie
– Paysages, nuit friable, Barbare, Vitry-sur-Seine, 1980.
– Métamorphose de l’île et de la vague, Arcantère, Paris, 1985.
– Sables funambules, Arcantère/Ecrits des forges, Paris – Trois-Rivières (Québec), 1988 ; Arenas Funambulas, traduction de Myriam Montoya, Fundacion Editorial El Perroy y La Rana, Ministerio de la Cultura, Caracas (Venezuela), 2006.
– Feu d’oiseaux, Sud n° 84, Marseille, 1989 (prix Jean Malrieu, Marseille, 1989).
– Nul Autre Lieu, Ecrits des forges, Trois-Rivières (Québec), 1992.
– L’Une et l’Autre Nuit, Le Dé bleu, Chaillé-sous-les-Ormeaux, 1993 (prix Charles Vildrac, Paris, 1994).
– Marcher sur la Terre, La Différence, Paris, 1994.
– Gisements de lumière, La Différence, Paris, 1998.
– De décembre à la mer, La Différence, Paris, 2001.
– La Douleur des seuils, La Différence, Paris, 2002.
– L’horizon est toujours étranger, CD, Artalect, Paris, 2003.
– Au présent du monde, La Différence, Paris, 2006.
– Tombeau pour sept frères, calligraphies de Hassan Massoudy, éditions Al Manar, Neuilly, 2008.
– L’Absence l’inachevé, La Différence, Paris, 2009.
– Les Saisons d’Aden, éditions Al Manar, Neuilly, 2011.
– The Present Tense of the World: Poems 2000-2009, traduction et préface de Marilyn Hacker, édition bilingue, Black Widow Press, Boston, 2011.
– Le livre intérieur, Mon royaume pour un livre, seize écrivains racontent, coédition Le Castor astral-L’Atelier imaginaire (Bègles, 2013).
– Le Corps noir du soleil, calligraphie de couverture de Hassan Massoudy, Rhubarbe, Auxerre, 2014.
– Amina Saïd, Clairvoyante dans la ville des aveugles. Dix-sept poèmes pour Cassandre, Editions du Petit Véhicule, Nantes, 2015.
– L’obscur en sa lumière, Lignes de vie, dix-huit écrivains disent leur rapport à la poésie, coédition Le Castor astral-L’Atelier imaginaire (Bègles, 2015).
– Chronique des matins hantés, peintures d’Ahmed Ben Dhiab, Editions du Petit véhicule, Nantes, 2017.

être métaphorique

Ce n’est pas l’amour de la métaphore, mais les images qui me sont chères renvoient à des réalités que je perçois dans la distance, ma main se tend et du regard chaleureusement au présent de mon cœur et dans mon vocabulaire, renvoient au vent de désir et sont peut être du domaine de la métaphore ou semblent l’être.   Ne sont elles que des éléments d’un langage poétique choisi, amoureux sachant que l’amour est souvent un choix, choix de se donner , se choisir opter de se laisser être par ce qui subjugue. La réalité, faite de rêve ou de texture sensible teinte et transforme celle réductrice qui est brutale en un monde élu, dans la puissance et la tendresse des flots qui finissent par nous englober, la maison alors est  ce déplacement, le cœur apaisé puisqu’il a reconnu et a choisi. Dès lors comment juger  la réalité comme d’une frontière écorchante, les mots même sans qualifier, portent en eux les graines et les fleurs, la parure  situant le rêveur dans une réalité éloignée qui n’est pas immédiatement du domaine de l’expérience concrète mais en fait un lieu d’élection. Il y a alors un déplacement, un « transfert » quelque chose qui pour pouvoir se manifester prend une peau et une apparence poétisée. La métaphore est avant tout celle de la tendresse et de l’abandon à soi. Une fonte des limitations et une reconnaissance des courants, je me rends à qui me subjugue, lui apportant ma soif de ma vie, utilisant les mots de sa langue et devenant cette eau, s’il st possible.

sonylaboutansi-t.beucherLa lecture de « encre, sueur, salive et sang » de SLT me confirme dans ce déplacement qui  depuis de longues années, a pris possession de ma compréhension, élargissant et teintant la vie comme je la vois de tons éloignés ou distant, désiré et soudés à mon regard, ma pensée contredit le glauque de ce qu’il voit, dans le nu des sens et s’est emparé du pinceau et des couleurs lissant la voile et le palmier, l’être de douceur qui me rejoint et transparait, tendant la main et la brillance du regard aux étoile, à ne plus apporter aucun crédit ni attention à la société occidentale dominante du moins en globalité car il y a toujours des espaces de résorption dans ses marches ou marges qui demeurent  des plages, on ne peut pas tout rejeter, il y a des haltes, des pauses et le paysage qui s’offre à nous est contrasté, mais prenons garde de ne pas s’en satisfaire et d’accepter de différer le départ. En partance sans retenue pour l’enveloppe poétique en réduire les empêchements.

C’est qui tu es, c’est là où tu vas parce que c’est cela que tu es , ce lieu est toi, a fini par l’être, ne peut pas ne pas l’être.

C’est ainsi que je me suis d’abord approché du monde que j’ai voulu toucher, par brefs écarts en voyage, là où les différentes réalités humaines s’interpellent, se croisent, s’envisagent, se yeutent et font l’expérience l’une de l’autre, de leur croisement et miction provient une musique multiple dont le mélange rappelle celui de la nature, une voix plongée dans la diversité et l’hybridité permettant à soi de plonger  dans une écoute de l’autre non limitative mais cumulative, participative, entropique et à l’écoute, des voix visibles ou audibles, lisibles, la différence sauve d’une identité trop fausse et perpétuellement en proie à une question qui n’a pas de raison d’être puisque l’on peut y répondre le soir aux étoile, dans les yeux et les attractions des corps, dans les cousinages d’âmes et d’esprit qui font la richesse et le foisonnement de la différence. On désire le monde sans le précipiter. S’approcher du corps timide de ne pas oser imposer avec puissance ce que le corps réverbère en soi, est inimaginable et n’a lieu que parce que l’esprit le tient éloigné en le convainquant qu’il n’a pas droit de cité dans le centre vibrant hors de la pulpe de la poésie, d’où la nécessité de passer par ce travers pour que le monde touche et m’ingère devenant petit à petit plus divers en moi même, me reconnaissant en m’augmentant des imaginaires,  couleurs et images et  présence tactiles, loin de tout artefacts de pensées quand à la création d’établir domicile et de laisser les voix faire écho.

 Glissant, Segalen,  Leiris et d’autres innombrables résument dans leur pensée ce à quoi je me suis frotté et me frotte.  Il ne s’agit pas de convaincre car toujours la vision indécrottable d’un ici privatif règne en maitre sur l’identité  alors que le désir de rencontre, le penchant naturel à s’éloigner du terreau provisoire, qui peut sembler fournir une réponse temporaire, continuellement temporaire, ne sert réellement à rien et ne peut que trouver une issue que dans la diversité et l’être ensemble, tout au moins rompre la solitude par l’évocation de l’autre. Leiris le passeur m’indique des endroits enflammés qui vont être des lieus de renouveau de la conscience, l’idée même en étant cela. Renouveler les tirets entre les différentes faces de la personne et engager une construction en devenir, le monde les instabilisant, l’étincelle c’est l’incendie. La francophonie héritée de l’effort colonial européen qui dans en premier temps met en contact les différents horizons avant de les cannibaliser, a produit ces zones de frictions que des écrivains tentent de cerner ou mieux de frictionner. C’est pourquoi je me dis francophone et veux être perçu  comme tel. A l’orée de la poésie choisie et assumée comme lieu de germination et d’émotion grave et douce s’adjoint la nécessité de rentrer en friction pour reconnaitre au lieu ses lettres de créance, la trace béante de sa filante qui erupte. Le lieu est une hydre et hurle de toutes ses têtes nous procurant douceur violence et réconfort, tel est l’ambiguïté. Habiter l’inhabitable.

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La métaphore, donc n’est pas la métaphore qui veut rendre la chose par l’image, somme toute aléatoire, mais témoigne d’une friction qui renvoie à des images perdues d’une autre réalité d’un monde inqualifiable et opaque, lieu de l’erreur et de la perte , de soi et de la trajectoire, impossible puisque qu’il faut s’en éloigner, intellectuellement et physiquement parlant, mais l’inadéquat prime à la bouche qui ne peut se résoudre à parler ainsi et accepter. SLT parle de la référence constante  dans les civilisations africaines à l’humain s’opposant à l’européenne techniciste et s’éloignant d’un sens qu’elle aurait largué hors de tous sens de nature. Je tends à lui donner raison et c’est cette quête que je poursuis à la recherche de l’archipel, de la nébuleuse bienveillante car même s’il y a les marges car il y a les îles et l’aimée, les zones absentes et les ombres laissées par la relation, cette géographie n’est plus que fragmentaire et incomplète laissant d’immense zone vide et dans ces vides des taches vibrantes, les place à la tendresse, à l’accord de l’harmonie, là clignote encore dans un arsenal guerrier une propension à se donner le cœur à exister, à concevoir en mots simples et  autoriser au sein de l’espace la vie rude et authentique, non entravé par un sens extérieur, c’est cet espace qui est désiré à défaut d’aborder à l’île bien délimitée par les cotes déchirées ou limpides des mers. Les mers se sont retirées, îles et océan terre et sable se confondent par échange de tons. Comment advenir aux îles et au monde, faire reconnaitre le parfum si particulier de l’accord et de la relation, voila qui est difficile mais pointe au fusil de la poésie.

Certains auteurs, peintres, musiciens se jouxtent à ce vrac , tentent d’en voir le « vibe » malgré la destruction et l’angoisse qui y réside, et il ne faudra pas attendre autre chose dans les ailleurs des autres zones du monde, dépassées par la montée des boues plus ou moins visibles sous l’apparence humaine et le corps vibrant, je pense à « la belle amour humaine » de Jacques Stephen Alexis, l’univers a un gout amer et révoltant mais encore suave car il empêche d’exister en prenant nos têtes pour une enclume, rompant le corps et faisant fondre l’âme, l’esprit seul ne peut y remédier, âme et corps infusent dans la poésie jetée à la face du monde comme pour l’éteindre, voila les épice et la cuisson sur le bois. Mais notre monde d’ici et là fut repeint de fond en comble et sous des couches de revêtement n’est plus reconnaissable, celui qui naît à cet endroit après s’être gratté la tête est en droit de s’imaginer autre plutôt que de s’user les mains à l’arracher, SLT le dit quand il invoque la nécessité de faire oeuvre d’imagination et de création tomber cette peau fausse et imposée. La simplicité de ce qui nous parvient de l’île, le zest du regard, peut être, la musique et l’arpège, le sentiment contenu suffisent à faire germer l’arbre, sans miroir, sans béquilles, sans rafia, faisant confiance à la sève qui gronde et à l’écriture qui jaillit , au dessin qui palpe , à la couleurs qui guérit, gémit de se savoir aliénée et cassée. C’est le capot où la peau qui tombent, notre nous  en prise avec une carapace incapacitante, qui à chaque instant tente de voler en éclat pour peu qu’on l’aide et victoire de mettre à genoux ce qui rêve de nous avaler tout cru. Par les lèvres si douces et violentes parviennent la faim de la libération du carcan , la peau n’a d’autre mots qu’elle, on l’écoute.

Revenir à cette arrête de la métaphore,  se faire sentir dans le langage, dans le choix des armes et des sonorité de sens, dans nos départs et nos propositions sans que rien ne soit interdit, devrait servir à mieux ouvrir le désir à l’idée, car autre aspect primordial , il y a un déplacement de soi dans la volonté sensible du monde hors de l’éloignement qui fait de l’existence un départ, on recherche alors la meilleure compagne, on se charge de ses fruits aimés,  images,  rythmes  sons qui parlent à l’éternel vibrant qu’est le cœur, l’âme se trop éteindre accrochée à ma carcasse, le réel souffle dans le respire et l’inspire, la cage monte et redescend « atmen » engendrée à ce rythme perçu, le rêve est ce réel augmenté de la sensibilité et de l’émotion comme dit Sony, des mondes si nombreux, ces destinations proposées on les charge avec soi. Assez pour l’exotisme et la métaphore. on vient de naître à soi dans un ailleurs et un autre, force de l’évidence et suprématie du désir, la peau coulée des intempéries. La flaque d’eau océan matinée d’huile n’est plus un miroir.

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Car il faut advenir au monde libéré de ce qui gangrène nous broute les pieds et le corps, le cerveau et l’âme comme avec de l’acide, hautement toxique, en constante agression de ces différents composants dont la rage attaque l’homme qui tente,  à le projet énorme de continuer à grandir, à devenir ce qu’il pressent être au creux de la semence qui s’est déployé dans le divers, les orages les calmes et la douceur, l’homme est fait pour aimer voila le terme d’homme et ce qu’il traine. Les agents dévastateurs agissent au quotidien, tant sur l’âme que l’esprit, le corps et les sangs et forcent de façon extrêmement perverse l’homme à devenir de ce monde de violence, le réduisent, ils l’anabolisent.  L’homme refuse,  est en lutte, ne voit pas comment réaliser la synthèse, générer les anticorps et dériver de la trajectoire imposée.

L’homme s’est mis à écrire, à projeter un univers d’images  sensorielles, sensuelles, palpables, des gestes puissants qui le remettent au centre de son agir, soumet les corrélations et les harmonies qui le font carte et détourne le captateur néfaste. La création sert à  retrouver ce sens intime, l’homme en soi, l’homme en l’autre, homme en l’espace, dont la  référence insistante à la nature  est comme un miroir nu de ce soi en mouvement qui est lui dans lequel il trace des lignes, mime des signes, corrèle des mots  comme un ciel qui s’épand, récoltant la lumière. Face au visage aimé, j’y reviens toujours tant il est important et fuyant, semble s’effacer toujours, se dérober et être affaire de foi, de refus à  laisser oblitérer cette aura, ce guide, cette confirmation qui sinon ferait sombrer l’éclat dans le non sens. S’il accepte de se dissoudre comme il est dissout,  devient une vulnérabilité qui lui fait toucher du doigt  le sublime en rompant le point le plus fin de la peau, par où il rejoint le vide et se diffracte, en l’autre, s’il aime assez.
Il semble parfois croire sur les chemins de la poésie que les rencontres sont à l’échelle de l’immensité. Écrire, projeter des moyens de mots ou de pigment sert  justement à se réinvestir, se remettre en face de son objet, et se remettre en route . Sony dirait de faire vivre dans sa zone d’influence, intérieure et extérieure sa pensée en actes, sa croyance et son devenir. L’homme dans le sens de la marche. La femme aimantée et le monde  par ces traces de verbes audibles et les yeux se mettent à voir, sombrent dans l’émotion, transportés dans cette sensibilité de nervure amoureuse qu’est le monde lorsqu’il s’agrippe. Accroché à pagayer, toujours y mettant plus de force pour endiguer le retrait, se grossir de ce qui est vrai et beau, donner vie à la sphère et qu’elle brille. Cette lutte est la lutte de l’humanité essentielle et est de chaque instant, nécessité hurler les muscle pour marquer l’emplacement  et faire rentrer le breuvage en soi pour un feu bénéfique.

SLT , Encre, sueur, salive et sang

Sony Labou Tansi , mon frère ouvreur ou poète sueur, poète sang qui célèbre la vie non dans les plis mais dans la chair du monde , l’oreille collée à tout ce qui est vivant et le stylo à la main pour n’en pas perdre une goutte, le style directement dicté par le soleil ou par l’organe est une passerelle et une pente à suivre :
J’appartiens à la partie de la Terre qui aujourd’hui compte six cent ans de silence. Ce silence nous a enseigné deux ou trois choses capitales : la beauté de la différence, les rapports avec la nature, l’ouverture vers l’autre. Je ne veux pas dire que nous soyons les meilleurs. J’écris sans doute pour témoigner de ma différence, pour garantir celle-ci ; parce qu’elle est un enrichissement pour l’humanité, parce qu’elle est la seule vraie possibilité d’ouverture sur « l’autre » ; la seule vraie voie de rencontre avec l’autre ; enfin la seule garantie contre l’uniformisation, l’intolérance et le fascisme. Évidemment si bien gérée, la différence garantie l’harmonie, mal gérée elle engendre le chauvinisme et conduit à l’aveuglement. (…)
La littérature est, je crois, l’art de savoir partager avec les mots. Sa vie. Ses espérances. Ses heurs. Ses malheurs. En un mots, son destin individuel ou collectif. Nommer, le commencement de toutes réalités. A cause des rapports que nous entretenons avec le rêve. Parce que le rêve c’est la réalité vue au microscope de la sensibilité. Le rêve c’est la réalité vue avec les yeux de l’émotion. Tout le monde n’a pas le temps de regarder les choses à s’en fendre les yeux. Moi j’ai ce temps là. Je questionne à temps perdu chaque parcelle de matière, chaque lamelle de la réalité. Parce que je ne suis pas sûr des choses. Je ne suis pas sûr du monde. L’acte d’écrire qui, quelque part, rencontre l’acte d’amour, m’aide à confirmer les choses et les situations, à mes propres yeux d’abord, aux yeux du monde, ensuite. Nommer étant prendre corps, essayer son propre corps à tous les corps du monde, reste pour nous le terrible embarras de l’encerclement, quand les choses échappent aux filets des mots. Et bien entendu, la trouille de sous-nommer qui engendre l’amère impression qu’on est humain en catastrophe ; alors qu’on se voudrait humain à charge, sans circonstance atténuante, humain par la grande porte , traversé par les mots, piétiné, soleil en berne venu à la fête des monstres et qui casse la gueule à la chair de poule. Et après la page blanche, la nausée de savoir que, les mot lui-même n’est qu’un cadavre qui flotte dans les eaux pourries du conformisme. Rage pour rage, à coté du corps gratuit qui conspue la flamme, l’écrivain fonctionne en fonction de la nuit. J’écris, entendez je me dénigre. Mais je n’avilis personne, Je suis un tesson de chair ardente qui dit son amour à tous les hommes ; j’atteste qu’on est vivant. Fonction ingrate bien entendu. Quand on sait qu’on écrit affamé parmi tant d’affamé. Que ceux qui n’ont pas de quoi acheter du pain n’auront pas de quoi acheter un livre. Qu’il y a tant d’analphabètes, à commencer par son père et sa mère. Qu’on a pas de lumière chez soi pour lire après le travail. Qu’il y a tant de gens qui ont peur d’un livre ( parce qu’ils se sont improvisés gérant inconditionnels de la vérité), parce que dans certaines parties de notre monde moderne, la loi interdit de penser .
SLT , Encre, sueur, salive et sang , seuil

 

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Sony Labou Tansi